Napoli, avec Ariane
« Invitation » par la principessa N. H. de S.P. ,post- mondaine désabusée « je suis en pré-faillite », à passer la semaine de Noël dans son Palazzo Marigliano, à Naples.
Cérémonieuse, elle nomme cet endroit, qui lui sert en même temps, de galerie d’art contemporain, « Le Purgatoire », du nom d’une ruelle proche, en plein centre monumental.
Décollage 9h 35 Roissy Charles de Gaulle, 3°C.
Par le hublot de l’Airbus A 320, la géométrie du paysage enneigé.
Accueil à l’arrivée par un vol
nuage,
orage,
présage,
d’étourneaux
piazza Plebiscito
17° C, soleil radieux.
La Principessa di cartone fait commerce de tapis, et négocie avec la mafia la location de pallazzo fracassato aux aménagements vétustes, dissuadant ses « invités » de cuisiner pour renflouer les pizzerias voisines.
Fausse particule, parenté fantasmée avec une célébrité artistique, collection de copies d’œuvres conceptuelles, déchets customisés style Elle Déco 80’s, œuvres lettristes aux provocations désuètes.
« Chacun est une Déception » constate sentencieusement une typo d’Elzévir rouge sur un vaste panneau en Plexiglas noir, laissées en dépôt par des copains désargentés, elle en expose des doubles dans un entrepôt qui tient lieu de galerie pour les « vernissages », en chaussons, pour ne pas salir les kilims.
R. K., amant inventé, dont elle s’évertue à disséminer dans l’appartement des preuves de vie, lettres, articles de journaux, photos floutées, ex libris ostensiblement signés, traces factices laissées par ce bisexuel américain de roman avec qui elle organise d’hypothétiques orgies littéraires et pornographiques.
Études imaginaires au Caire, vie mouvementée d’aventurière de magazine dans le monde des salons décomplexés artistiques et intellectuels internationaux.
Le « Purgatoire », mal éclairé, complètement à l’abandon, meublé d’éléments de récupération rébarbatifs et branlants, salles de bain étriquées, fils électriques à vif courant le long des murs, ampoules nues tremblotantes, chauffages hésitants, électroménager défectueux, cuisine minuscule et décourageante.
Aucune armoire, commode ou rangement : Filin d’acier, cintres impratiques, caisses rabotées tables de nuit.
Tapis :
Sol en ciment brut recouvert de tissages marocains, kilims dessus de lit, housse de canapé, tentures aux portes.
Terrasse en carrelage de terra cota défoncé
« Sublime pour le petit déjeuner»
peuplée de ferraille christique rouillée,
lourde table en verre fêlé
Deux sièges de jardin désossés,
Pleine lune :
Vieux couple rêvant sur la terrasse.
snob, « esthétique » codée, destinée à l’élite.
Malgré la détresse du lieu, les recoins de ces ruines hantées,
Colonnes fêlées, balcons suspendus
labyrinthe précaire et fascinant,
sont terriblement romantiques.
Palazzio Marigliano,
somptueux et fracassé,
échos de claquements d’éventails de courtisanes, aux escaliers de basalte
charme fissuré des marbres à l’abandon,
Vestiges saupoudrés de farine de pizza et cendres volcaniques accumulées.
Dans la cour aux larges pavés de lave du Vésuve, le vieux concierge, représentant de Cosa Nostra, contrôle avec bonhomie les allées et venues des fantômes piaffant des chevaux d’antan.
Dans notre chambre, une installation de balais créée par un artiste conceptuel.
Je complète l’œuvre avec une balayette achetée à la droguerie via dei Tribunale.
Lampe Déco tendance, en fil de fer, à partir d’une bouteille de liquide vaisselle au salon du « Purgatoire ».
Traversée du miroir :
Éclairage municipal bricolé dans un couvercle de poubelle en plastique vert au coin de la via del Paradiso.
Napoli est malade, désertée par les touristes,
grèves de poubelles,
épidémies,
choléra,
sous-sol sapé par la mer,
superstition tribale,
pauvreté,
violence,
politiques,
ecclésiastiques,
Lotta Continua,
Camorra,
Corruption statutaire.
Autant d’églises que de cafés, de capuccino que de capucins.
Pulcinella, les pieds dans l’eau salée, se noie dans l’eau bénite.
Vol d’étourneaux, personne ne mène l'ensemble, leader, hiérarchie, chacun suit le voisin.
Tout Napoli pourrait se retrouver dans le cratère du Vésuve, si un gamin y glissait par mégarde.
Ruelles étriquées, au pavage noir volcanique, labourées par d’impatientes Vespas aux Klaxons irrités.
Mes Tarots Beline m’avaient prédit que le séjour ne se passerait pas comme prévu, mais qu’il serait magnifique.
Quand à mon pendule, en ce moment il fait le mort, je ne sais pas ce qu’il a, il ne me dit que des conneries.
Jacques di Donato,
(clarinettiste, batteur, bal musette, Stockhausen, free jazz, Mozart, Boulez, tournées internationales, maître en karaté, il m’a enseigné la sauce tomate)
et moi,
au cours d’un dîner dans un restaurant du faubourg Saint Antoine
avons établi une règle :
Quand nos promenades nous mènent aux endroits
Bistrot,
jardin,
Appartement,
privé ou public,
hôtel, n’importe,
Où sommeille un instrument dont nous pouvons tirer quelques notes,
Offrir trois minutes de musique aux gens.
À Naples, je joue :
Un blues en mi sur la guitare sèche accrochée au mur d’un restaurant de Capo di Monte.
Une mélodie napolitaine à l’accordéon assis sur une valise
avec un duo de mandolinistes manouches coiffés de canotiers
Trottoir via Toledo.
Du djembé, soleil couchant, sur un banc capitonné de la piazza Bellini avec une rythmique d’adolescents en pleine crise face book néo afro.
« My favourite things », au Café Gambrinus, à la demande d’un maître d’hôtel qui danse de joie, sur le Steinway désaccordé du grand salon art nouveau.
Une improvisation piano d’étude middle jazz sous un chromo du Titanic, à l’American Center de Santa Lucia, veille de Noël, le Vésuve à la fenêtre
Le serveur du bar rêve à sa soirée en famille :
« Natale ? chiuso ».
Natale, messe de minuit
Cathedrale du Duomo avec l’envoyé du pape
J’ai offert une mantille à Ariane
Procession de caricatures grimaçantes
Sale coup pour le Christ
Ecclésiastiques blasés gros et gras saluent la foule des fidèles avec indifférence
Négrillon avec parasol, encens, or et argent, Petit Gèsu en celluloïd dans les bras fatigués du prélat mitré
Les gens se prennent dans les bras, nous serrent les mains avec ferveur Napoli est chiuso,
Tout est noir dans l’écho des ruelles rien à craindre
Sous la protection du concierge de Cosa Nostra, on se fait cuire des pâtes à la Di Donato, dans une gamelle d’aluminium de la mini cuisine du Purgatorio
La nuit sera belle et la Camorra n’en saura rien…
À demain dans la crise!
Alceste
14.4.10
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Superbe récit
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